Culture
Portrait de femme dans la tech : Maÿlis Staub
Cinq portraits, cinq voix. Non pour ériger des modèles, mais pour élargir notre regard sur la tech. Avec Women’s Vision, il s’agit moins de célébrer que d’écouter. Accueillir les voix discrètes, les chemins sinueux. Et reconnaître d’autres façons d’habiter la tech.
Maÿlis Staub est fondatrice de Pocket Result, vice-présidente et administratrice de Numeum — le syndicat des entreprises du numérique en France — et présidente de NOVA In tech, l’initiative portée par Numeum pour promouvoir la mixité dans le secteur numérique.
Avec calme, Maÿlis parle de la charge mentale sans détour. Des nuits en pointillés, de la fatigue qui s’installe sans bruit. Son parcours ne suit pas un plan de carrière : il épouse les détours et les manques. Il dit aussi ce que c’est qu’entreprendre lorsqu’on est une femme dans la tech, créer et chercher tout en ouvrant la voie aux autres.
Premiers élans, premiers freins
Maÿlis découvre le mot cheffe d’entreprise sur une fiche d’orientation, au collège. Le mot l’attire sans qu’elle en comprenne encore les enjeux. Elle y devine une forme d’élan, un pouvoir de faire, de bâtir. Autour d’elle, on tempère : ce n’est pas un métier pour une femme. Trop dur, trop risqué, peu conciliable avec une vie de famille. Elle écoute, range cette envie dans un coin de sa mémoire. Elle ne l’oublie pas. Elle attend. Plus tard, chez SFR, elle progresse vite. Pendant quinze ans, elle travaille beaucoup, tout en élevant quatre enfants. Elle développe une méthode innovante de mesure de la performance, s’entoure de statisticiens, obtient des résultats. Pourtant, à chaque changement de direction, il faut tout recommencer. Réexpliquer, justifier, défendre. Ses idées circulent, mais peinent à trouver une voix stable. “Ce n’est pas qu’on n’ose pas. C’est juste qu’on ne nous écoute pas.”
Ce qu’on ne voit pas dans les chiffres
Elle finit par quitter le groupe. Elle transforme son expertise en cabinet de conseil, puis en logiciel. Pocket Result voit le jour : un outil d’aide à la décision, né d’un savoir éprouvé sur le terrain. En 2018, elle co-fonde Data Legal Drive. En deux mois, le produit séduit, les abonnements affluent. Mais l’élan ne dissout pas la tension. Les journées s’étirent, les nuits raccourcissent. Et parfois, malgré les chiffres, demeure ce sentiment diffus de ne pas en faire assez : “J’arrivais encore à culpabiliser… Je me disais : tu ne donnes pas assez de temps aux autres.”
"Cette impression persistante que, pour une femme, la réussite ne se mesure jamais uniquement en résultats. Elle se conquiert sur plusieurs fronts."
À l’extérieur, le succès est limpide. À l’intérieur, l’équilibre reste précaire. Quatre enfants, deux entreprises, et cette impression persistante que, pour une femme, la réussite ne se mesure jamais uniquement en résultats. Elle se conquiert sur plusieurs fronts, avec ce supplément d’effort que peu prennent la peine de voir. Car si les chiffres racontent l’ascension, ils taisent encore les salles d’attente des pédiatres, les plafonds de verre et les silences polis des fonds d’investissement.
Changer les règles du jeu
Aujourd’hui vice-présidente de Numeum, elle œuvre pour une transformation concrète du secteur afin que les femmes y trouvent une place à la mesure de leurs compétences. À travers NOVA In tech, la commission mixité de Numeum, elle conçoit des formats d'échange pour inclure les hommes dans la réflexion, organise des délégations de fondatrices dans les grands salons internationaux, identifie et met en lumière des expertes pour qu’elles prennent la parole. Elle avance avec méthode, portée par les chiffres. “C’est mathématique. 85 % des dirigeants sont des hommes. Si on ne les embarque pas, on n’y arrivera pas.”
Ni conquête, ni pouvoir. Un équilibre
Ce qu’elle construit aujourd’hui, elle le fait aussi pour les autres. Pour sa fille Mara, 27 ans, fondatrice d’Autypik. Pour les femmes en reconversion, “parce que les femmes qui ont du courage, qui ont fui leur pays, qui reprennent tout à zéro… ce sont des pépites pour les entreprises.” Et puis pour les générations qui suivront, qu’elle espère voir grandir dans un numérique plus juste : “Ce n’est pas une question de pouvoir, c’est une question d’équilibre.” Elle ne cherche pas à devenir un modèle, mais à laisser une place plus stable, plus accessible. Et, pour celles qui arrivent, un peu moins difficile à conquérir.