La course folle des LLMs

La course à la performance des IA occulte souvent leur utilité réelle. L’histoire prouve que l’adoption passe par la simplicité, non la puissance. Et si notre rapport à l’IA devait changer de cap ?

La course folle des LLMs

On le sait, l'intelligence artificielle générative suscite un engouement sans précédent. Et pourtant, une voix dissonante s'élève pour questionner la pertinence de cette course effrénée à la performance des modèles de langage. Privilégier l'adoption et les cas d'usage concrets plutôt que la surenchère technologique n'est pas une idée nouvelle. Cet opinion trouve ses racines dans l'histoire des innovations technologiques et révèle aujourd'hui des parallèles frappants avec ce que l'on est en train de vivre avec l'IA.

La course à la puissance

Un peu d'histoire

Ce que nous enseigne l'histoire des technologies, c'est que la course à la puissance n'est pas corrélée à l'adoption massive de ces mêmes technologies. Dans les années 1970, les premiers ordinateurs personnels étaient techniquement révolutionnaires mais d'une complexité rebutante pour le grand public. Le système MS-DOS ne s'adressait alors qu'à une élite de passionnés. Il aura fallu attendre l'arrivée d'interfaces graphiques comme celles d'Apple et Microsoft Windows pour démocratiser l'informatique personnelle.

On a le même exemple avec la photographie numérique et la fameuse mode où chaque constructeur y allait de son appareil photo proposant toujours plus de megapixels. Les fabricants se sont focalisés sur un chiffre technique, pensant que plus il y aurait de mégapixels, meilleures seraient les photos. Les chiffres ont atteint de tels sommets qu'ils en ont perdu toute leur substance, et c'est sans doute ce qui a permis aux consommateurs de se rendre compte que le vrai critère d'adoption d'un appareil photo était en réalité sa facilité d'utilisation.

Le cycle de l'innovation technologique

Selon le modèle de Gartner, la plupart des innovations technologiques suivent un cycle prévisible en cinq phases : le déclenchement, l'engouement, la désillusion, le développement et enfin la maturité. L'intelligence artificielle générative est en pleine phase d'engouement, mais la machine s'emballe à tel point que l'on peut désormais parler de "suringénierie". Comment cette phase se matérialise-t-elle ? On la voit tous les jours, avec des éditeurs qui proposent des modèles toujours plus gros, toujours meilleurs que les autres, toujours plus rapides et précis sur des benchmarks toujours plus tordus. Et chaque sortie d'une nouvelle version d'un modèle s'accompagne toujours du même slogan "le modèle le plus puissant au monde".

La conséquence pour les utilisateurs, c'est ce que l'on appelle la "feature fatigue": un phénomène où l'excès de fonctionnalités rend un produit contre-productif. Avez-vous vraiment testé en profondeur toutes les versions des modèles de OpenAI ? Avez-vous utilisé ne serait qu'un modèle sous toutes ses coutures, jusqu'au point de dire "c'est bon, j'en ai fait le tour" ?

La Réalité sur l'adoption de l'IA

Une adoption limitée malgré l'engouement

Les chiffres de l'adoption de l'intelligence artificielle révèlent un paradoxe saisissant. Si 78% des entreprises déclarent utiliser l'IA, seulement 4% parviennent à générer un retour sur investissement concret. Cette statistique met en lumière l'écart effarant entre l'intérêt théorique pour la technologie et sa mise en œuvre pratique et efficace. Accessoirement, ce chiffre montre également la non corrélation entre la performance d'un modèle et le ROI qu'il génère en entreprise.

On peut aussi repenser à la loi de Pareto : finalement 80% des utilisateurs n'exploitent que 20% des fonctionnalités d'un outil. Dans le contexte de l'IA, cette règle suggère qu'une petite minorité d'utilisateurs tire parti de la complexité croissante des modèles, tandis que la majorité reste cantonnée à des usages basiques, comme résumer du texte, faire de la traduction, ou encore générer des images.

Cette course à la performance des LLMs risque ainsi de provoquer l'émergence d'une "IA à deux vitesses" : d'un côté, une élite technologique capable d'exploiter des modèles hyper sophistiqués comme O3 Pro d'OpenAI, et de l'autre, une grande majorité d'utilisateurs dont les usages seront limités à des applications basiques.

L'alternative : L'IA invisible

L'approche des géants

Face aux limites présentées précédemment, certains acteurs adoptent une stratégie radicalement différente : l'intégration de l'IA dans les outils existants de façon invisible. Apple, par exemple, privilégie une approche "discrète, utile et vraiment intégrée", et évite ainsi la mise en concurrence d'un énième chatbot pour se concentrer sur l'amélioration de l'expérience utilisateur. C'est ainsi que le dernier Iphone intègre l'IA au cœur de son système, lorsque l'on passe un appel, lorsque l'on envoie un SMS. On utilise l'IA sans s'en rendre compte, et sans avoir besoin de comprendre comment elle fonctionne.

Cette philosophie s'oppose à la stratégie d'OpenAI et de ses concurrents qui multiplient les modèles toujours plus puissants et qui sont au coude à coude dans cette course.

Les avantages de la simplification

L'exemple des PC et des appareils photo numériques démontre que la simplification constitue souvent la clé du succès commercial. L'adoption massive du smartphone n'est pas due à sa puissance technique mais à sa capacité à simplifier l'utilisation.

Cette leçon s'applique directement à l'intelligence artificielle. Les utilisateurs ne recherchent pas nécessairement la performance brute mais des solutions à leurs problèmes quotidiens, présentées de manière accessible et intuitive.

Les risques de la stratégie invisible

La perte de maîtrise technologique

Paradoxalement, la stratégie de l'IA invisible comporte aussi ses propres dangers. En rendant l'intelligence artificielle totalement transparente, les utilisateurs risquent de perdre en compréhension et en maîtrise de ces outils. Cette dépendance peut conduire à une forme de passivité technologique où les individus deviennent de simples consommateurs d'une technologie qu'ils ne comprennent plus.

La question est d'autant plus brûlante que le grand potentiel de l'IA réside dans l'aide à la décision et l'automatisation des tâches. Ce risque de passivité technologique s'en trouve donc considérablement accru.

Le défi consiste donc à trouver un équilibre entre simplification de l'usage et préservation de l'autonomie utilisateur. L'enjeu est donc d'arriver à démocratiser l'accès à l'IA tout en maintenant la transparence sur son fonctionnement.

Vers une IA raisonnée : la slow AI

Un nouveau paradigme

Face à cette course à la performance et aux risques passivité technologique, le concept de "Slow AI" est en train d'émerger. Cette approche privilégie la qualité sur la quantité, l'utilité sur la performance brute, et l'adoption réfléchie sur l'innovation continue.
La Slow AI s'inspire des mouvements "slow" dans d'autres domaines (comme la slow food, et la slow fashion) et prône une approche plus mesurée de l'innovation technologique. En outre, elle encourage les utilisateurs à maîtriser les outils existants plutôt que de courir après chaque nouvelle version.

Les implications stratégiques

Pour les entreprises, cette approche implique nécessairement un changement de paradigme. Plutôt que d'investir massivement dans les derniers modèles de LLMs et les dernières plateformes, elles pourraient tout aussi bien se concentrer sur l'optimisation de leurs processus existants, la formation de leurs équipes, et l'adoption de ces nouvelles technologies au cœur de l'entreprise.

Cette stratégie présente plusieurs avantages : réduction des coûts, vision et amélioration du ROI sur le long terme, et une certaine forme de sérénité due à la diminution de la fatigue technologique des employés. Elle permet ainsi de construire une expertise durable plutôt que de subir les changements permanents du marché.

Conclusion

L'analyse de la course à la performance des LLMs révèle un schéma récurrent dans l'histoire des technologies : l'erreur de privilégier la puissance technique au détriment de l'adoption et de l'utilité pratique. Cette approche a conduit à de nombreux échecs commerciaux.

La véritable révolution de l'intelligence artificielle ne résidera peut-être donc pas dans la création de modèles toujours plus puissants, mais dans leur intégration harmonieuse dans notre quotidien.

Cette réflexion invite à repenser notre rapport à l'innovation technologique et à privilégier une approche plus raisonnée, centrée sur les besoins réels plutôt que sur la performance pour la performance. Car au final, la technologie qui marque l'histoire n'est pas nécessairement celle qui était la plus puissante, mais celle qui a amélioré concrètement la vie de ses utilisateurs.

PS: Merci à Hugo Salenne dont la dernière vidéo sur sa chaîne Youtube m'a inspiré la rédaction de cet article.

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