Aller au contenu principal
📦Produit
L’innovation guidée par la GenAI fissure le double diamant

L’innovation guidée par la GenAI fissure le double diamant

Aude DefretiereAude Defretiere
Produit5 min de lecture

Que serait le Product Management sans son traditionnel diptyque “problème/solution” ? Une architecture claire, presque élégante dans sa simplicité : comprendre profondément le problème, circonscrire ses contours, puis seulement ensuite s’autoriser à imaginer des solutions. Cette méthodologie du “double diamant” a longtemps guidé mes journées de product manager — elle structure, elle discipline, elle rassure.

Mais il est des moments où un paradigme méthodologique atteint ses limites. Et l’irruption de la GenAI n’est pas simplement un nouvel outil technologique : c’est une onde de choc intellectuelle qui oblige à reconsidérer la manière même dont nous appréhendons l’innovation.

Face à cette technologie capable de générer des idées, des options, voire des modèles inédits, continuer de s’accrocher à une logique séquentielle « problème → solution » revient à regarder un nouvel horizon avec d’anciennes lunettes. Ce n’est pas inefficace — c’est simplement insuffisant. D’autant plus que l’arrivée de l’agentique redistribue encore davantage les cartes : nous entrons dans une ère où l’on ne se contente plus d’« outiller » les collaborateurs, mais où on peut déléguer des pans entiers d’activité à des agents autonomes.

Ces agents ne se contentent pas d’exécuter des tâches : ils orchestrent, coordonnent, anticipent, apprennent. Ils déplacent la frontière entre ce que l’humain doit penser lui-même et ce qu’il peut confier à un système qui raisonne, planifie et agit. Dans un tel contexte, persister dans une méthodologie linéaire revient non seulement à brider l’invention — mais aussi à ignorer un changement structurel de notre rapport au travail et à la production de valeur.

Un cadre précieux hérité d’une époque différente

Soyons clairs : le double diamant n’est pas dépassé. Il reste un formidable outil pour éviter les raccourcis intellectuels, protéger l’utilisateur comme boussole et maintenir un cadre rigoureux.

Mais ce modèle s’est construit dans un monde où la technologie évoluait à un rythme raisonnable, presque prévisible. On avait le temps d’observer les usages, de faire émerger les irritants, et d’imaginer ensuite une réponse technique raisonnablement complexe.

Or la GenAI renverse cet équilibre. Elle démultiplie les possibilités techniques plus vite que les métiers n’expriment leurs besoins. Elle ouvre des chemins qu’aucune analyse d’usage n’aurait pu anticiper. Elle met sur la table des capacités que personne n’avait imaginées — parfois même les utilisateurs les plus avertis.

Alors, continuer d’attendre patiemment la « phase solution » pour introduire la question technique revient à se priver de tout un pan d’inspiration. C’est réduire une technologie inventive à un rôle exécutif. C’est, finalement, mettre la GenAI dans une boîte trop petite pour elle.

Comment la posture "problem first" réduit la GenAI au rang d’optimisation

Lorsqu’on demande aux métiers comment ils voient l’usage de la GenAI, les premières réponses sont presque toujours les mêmes : automatiser, synthétiser, accélérer. Des usages utiles, bien sûr. Tangibles. Encourageants. De plus, grand nombre d’entre eux n’ont pas encore totalement appréhendé le champ des possibles et, spontanément, se cantonnent à des projections d’usage de l’IA assez banales — celles qui prolongent l’existant sans réellement le transformer.

Mais constater cela ne doit pas nous aveugler : ces idées ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Elles reflètent ce que les métiers connaissent déjà, ce qui leur est familier. Et si l’on se contente de cette grille de lecture, alors oui, la GenAI apparaîtra comme un levier de productivité. Une version plus sophistiquée d’un script d’automatisation.

Le problème n’est pas la technologie. Le problème, c’est le cadre mental. Une logique où l’on part du problème enferme l’innovation dans un périmètre connu. Or la puissance réelle de la GenAI réside précisément dans sa capacité à faire émerger l’inconnu.

Pour aller plus loin, il faut accepter de bousculer nos réflexes

Adopter la GenAI exige un changement de posture presque philosophique : accepter que l’exploration et la solution puissent naître ensemble, s’alimenter mutuellement, se répondre. Renoncer à la pure linéarité du double diamant ne signifie pas abandonner la rigueur ; cela signifie reconnaître que l’imagination peut — et doit — précéder l’expression formelle d’un problème.

C’est précisément pour cette raison que, chez WEnvision, nous avons décidé de renverser partiellement l’ordre établi. Nous ne séparons plus exploration et solutioning : nous les faisons dialoguer dès le premier instant.

Un binôme métier–data

L’un des choix méthodologiques dont je suis le plus convaincue est le suivant : ne jamais mener une interview utilisateur sans convoquer deux regards complémentaires.

D’un côté, un profil métier / PM, capable de décoder les besoins implicites, de reformuler les enjeux, d’installer une relation de dialogue. De l’autre, un profil tech / data science, à même de reconnaître immédiatement des opportunités techniques, d’esquisser un prototype verbal, de provoquer l’imaginaire en évoquant des possibilités concrètes.

Ce binôme n’est pas un gadget méthodologique ; c’est un accélérateur d’ouverture. Lorsqu’un utilisateur dit « ce serait bien si… », le data scientist peut répondre : « techniquement, on pourrait aller encore plus loin : imaginez si… ». Et soudain, le discours quitte l’optimisation pour toucher l’invention.

Les métiers ne se projettent pas parce qu’ils manquent d’idées — ils ne se projettent pas parce qu’ils manquent d’un langage pour explorer le champ du possible. Notre rôle est de leur offrir ce langage.

Ce que cette approche change profondément

Introduire la technologie dès les premières minutes transforme radicalement la nature des échanges :

  • Les irritants ne sont plus la seule matière première.
  • Les non-dits, les envies, les intuitions deviennent exploitables.
  • Les contraintes se transforment en opportunités.
  • Les usages imaginaires deviennent des pistes de travail.
  • L’existant cesse d’être un plafond, devient un tremplin.

Ce changement de contrainte mentale est loin d’être anodin : il ouvre un espace où l’innovation n’est plus seulement pensée comme une amélioration continue, mais comme une transformation possible de la manière même de travailler.

Ouvrir la porte à une nouvelle façon d’innover

La GenAI nous invite à quitter les chemins balisés — et c’est une chance rare. Elle nous pousse à interroger nos réflexes, à revisiter nos méthodes, à accepter qu’une idée puisse émerger sans être adossée immédiatement à un irritant mesurable.

Les cadres qui nous ont guidés jusqu’ici ne disparaissent pas : ils deviennent des points d’appui, des repères. Mais le véritable terrain d’innovation s’étend désormais au-delà. Un terrain où la conversation entre métiers et technologie est plus fluide, plus précoce, plus fertile.

L’enjeu n’est plus d’identifier un problème à résoudre : c’est d’apprendre à reconnaître, sans les faire taire trop vite, les intuitions qui ouvrent des portes nouvelles.

Et c’est précisément là que commence la prochaine ère du Product Management : non pas dans la stricte résolution des problèmes, mais dans l’audace d’imaginer ce qui pourrait exister si nous élargissons enfin notre horizon.