L'Art oublié de la pratique à l'ère de l'IA

Fausse promesse de la productivité instantanée

Le vibe coding est le nouveau mot à la mode dans le monde du dev. Popularisé par Andrej Karpathy, co-fondateur d'OpenAI, il évoque une vision intéressante : le développeur “s'abandonne aux vibrations" et laisse l’IA traduire une idée en code. C'est la promesse d'une productivité sans effort, d'une création magique où la complexité technique s'efface derrière une simple conversation.

La réalité est différente. Pour de nombreux développeurs, l'interaction avec les assistants IA ressemble moins à une collaboration fluide qu'à une série d'essais-erreurs. L'outil qui promettait de faire gagner un temps précieux finit par en faire perdre, noyant le développeur dans un cycle de débogage et de corrections. La promesse de l'instantanéité se heurte au mur de la pratique.

Productivité

Cette déconnexion entre la perception et la réalité a un nom : le "placebo de productivité". Une étude menée par METR en juillet 2025 dit : des développeurs open source expérimentés, travaillant sur leurs propres projets, ont mis en moyenne 19% de temps en plus pour accomplir leurs tâches en utilisant des outils d'IA. Leur perception était totalement inversée : ils estimaient avoir été environ 20% plus rapides.

Pourquoi ce décalage? L'IA procure une sensation de progrès. Chaque prompt envoie une réponse immédiate, elle crée une boucle de récompense qui mime la satisfaction de fermer un ticket ou de réussir un test.

réactive. Le développeur ne dirige plus l'IA ; il réagit à ses imperfections, corrigeant des erreurs et reformulant ses demandes. Il a l'impression d'avancer, alors qu'il perd l'initiative.

C'est ici que la sagesse du jeu de Go éclaire. Les règles du Go sont d'une simplicité désarmante et peuvent s'apprendre en quelques minutes. De la même manière, installer un assistant IA comme Gemini CLI ou Claude Code ne prend qu'une seule ligne de commande. Mais un novice qui connaît les règles du Go n'est pas encore un joueur ; il ne fait que poser des pierres sans stratégie. De même, un développeur qui sait taper un prompt n'est pas productif. Il n'a appris que la première règle d'un jeu bien plus profond.

Penser

La solution n'est pas de rejeter l'outil, mais de changer d'approche : il faut cesser de donner des ordres et commencer à jouer un jeu stratégique.

1. Premier coup stratégique

Au Go, un débutant place souvent ses premières pierres sur les bords du plateau, sécurisant un territoire minuscule et inefficace. C'est un coup sans vision à long terme. Le prompt vague du développeur novice, tel que

> Crée un bouton, est l'équivalent parfait de cette erreur. Il abandonne toute initiative et ne peut produire qu'un résultat générique, pratiquement inutile.

À l'inverse, un maître de Go place sa première pierre sur un "point étoile" (hoshi), un coup qui ne vise pas un gain immédiat mais établit une "influence" sur une large portion du plateau. Le développeur expert fait de même avec son premier prompt. Il ne demande pas un bouton, il dicte une manœuvre stratégique :

"Agis en tant que développeur senior spécialisé en accessibilité. En utilisant TypeScript et React, génère un composant Bouton réutilisable avec les props 'variant' et 'size', incluant les attributs ARIA appropriés.". Ce coup initial établit le contexte, la technologie et les contraintes, forçant l'IA à produire un résultat précis.

2.Initiative (Sente) et séquence (Joseki)

La maîtrise du Go repose sur le concept de Sente : l'initiative. Un coup Sente est un coup qui force l'adversaire à répondre, permettant de garder le contrôle du jeu. Un développeur expert utilise cette même stratégie via le raffinement itératif. Au lieu d'un prompt unique et massif, il engage un dialogue, guidant l'IA avec une série de commandes courtes et ciblées : "Génère la fonction de base", "Maintenant, ajoute la gestion des erreurs", "Enfin, écris les tests unitaires". Chaque étape est un coup Sente qui maintient le développeur aux commandes.

Les joueurs de Go étudient les Joseki, des séquences de coups éprouvées pour des situations locales. Pour le développeur, ces Joseki sont les techniques de prompting avancées. Par exemple, le Prompting par Persona ("Agis en tant qu'expert en cybersécurité...") active un contexte et un style spécifiques. La Chaîne de Pensée ("Décompose ce problème en étapes avant de coder...") force l'IA à structurer son raisonnement, améliorant la qualité de la solution finale.

La pratique mène à la maîtrise

Le "vibe coding" n'est pas un état de paresse, mais l'état de fluidité intuitive qui émerge après des heures de pratique. C'est la récompense, pas le point de départ. L'IA n'est pas une baguette magique, mais un partenaire de jeu puissant. Apprendre à jouer demande un investissement.

Ne chercher le "prompt magique" qui résoudra les problèmes. Il faut plutôt changer de perspective et voir chaque interaction avec l'IA comme un coup dans une partie de Go. Apprenez les ouvertures, étudiez les séquences, et pratiquez l'art de la conversation stratégique.